Article paru initialement dans le numéro d’avril de la Rumeur du loup.
En janvier 2010, Mark Zuckerberg, le PDG et fondateur de Facebook, affirmait candidement lors d’une soirée de gala que la vie privée n’était plus une norme sociale. Lors d’une entrevue en 2009, Eric Schmidt, le PDG de Google, déclarait sur la question du droit à la vie privée que si les gens faisaient quelque chose qu’ils ne voulaient pas que les autres sachent, peut-être qu’ils ne devraient tout simplement pas le faire.
Les progrès technologiques des dernières décennies ont favorisé la multiplication de la surveillance de masse et la collecte de données personnelles à une échelle auparavant insoupçonnée. Quotidiennement, de multiples acteurs étatiques et commerciaux ramassent, stockent, utilisent et vendent des quantités d’informations sur nous, nos amis, nos habitudes et nos pensées les plus intimes.
Mais la question demeure, est-ce que Zuckerberg et Schmidt ont raison? Est-ce que droit à la vie privée est encore important en 2018? De toute façon, tout comme moi, j’imagine que vous n’avez rien à vous reprocher…
Je n’ai rien à cacher
Le lanceur d’alerte Edward Snowden disait en entrevue que de ne pas se soucier du droit à la vie privée parce que l’on n’a rien à cacher, c’était un peu comme dire que l’on n’accorde pas d’importance à la liberté d’expression parce qu’on n’a rien à dire.
Personne, même celle n’ayant rien à cacher, ne consentirait à dévoiler publiquement les mots de passe de ses comptes de courriel ou n’accepterait de voir publier les enregistrements de toutes ses conversations téléphoniques. Il y des choses que nous disons et faisons parce que nous savons que nous les disons et faisons de façon privée ou entre personnes avec qui nous avons confiance.
Cet argument est également dangereux dans le sens qu’il associe le fait de tenir au droit à sa vie privée comme étant le désir exclusif de ceux et celles qui commettent des actes illégaux. Il y aurait deux sortes de personnes : les bons citoyens inoffensifs qui acceptent que leur gouvernement les épie car ils n’ont rien à cacher et les autres, les méchants qu’il faudrait débusquer.
Surveillance et conformisme
Les régimes autoritaires ont toujours tenté de limiter, voire d’éliminer, le droit à la vie privée. La police secrète de l’ancienne République Démocratique d’Allemagne (la Stasi) avait un vaste réseau de surveillance de ses citoyens. Le philosophe Jeremy Bentham avait imaginé le Panoptique, une prison dont l’architecture permettait au gardien de voir tous les prisonniers. Par contre, ceux-ci ne pouvait pas savoir s’ils étaient surveillés ou non, les forçant à assumer qu’ils l’étaient tout le temps.
Nous n’agissons pas de la même façon si nous sommes seuls ou si nous nous sentons observés. La surveillance engendre le conformisme et l’obéissance car elle fait appel au désir d’éviter le jugement des autres. C’est un sentiment puissant et les partisans du pouvoir l’ont bien compris. Préserver la vie privée, et donc limiter la capacité de surveillance, est primordial pour limiter l’abus de pouvoir.
Protéger la vie privée
Le droit à la vie privée, comme les protections de la liberté de parole, sont là avant tout pour protéger les personnes et les idées marginalisées ou non conformistes. Nous n’avons pas vraiment besoin de liberté d’expression pour protéger le discours de ceux qui disent la même chose que le pouvoir en place. C’est principalement pour protéger la parole de ceux et celles qui remettent en question le pouvoir.
Les textos de la jeune personne homosexuelle n’ayant pas fait sont « coming out », les contacts des réseaux sociaux de la personne militant contre la brutalité policière, les appels téléphoniques de ceux et celles qui ne voulaient pas qu’un pipe-line coulent dans leur coin de pays, l’historique de recherche de la personne qui se questionne sur les symptômes qu’elle ressent. Il y a des foules de choses que nous ne voudrions pas voir crier sur les toits pour la simple raison que cela ne regarde que nous.
Avoir un espace qui nous appartient, ou nous pouvons discuter librement, expérimenter et échanger est primordial pour l’exercice de notre liberté. L’internet, d’abord décrit comme un vecteur de liberté, tend à devenir un vaste réseau de surveillance, de manipulation et de contrôle. Il n’est pas trop tard et nous pouvons renverser cette tendance. Il faut d’abord en parler, signifier notre refus d’être surveillé, défendre nos droits et se munir des outils pour se protéger.